samedi 24 novembre 2007

Read: l'attentat, de Yasmina Khadra



Commentaires de l'auteur : « En écrivant «l'Attentat», j'ai essayé d'aller au-delà de la crise et du mal, d'occuper un plateau où le tort et la raison se rejoignent pour dire l'étendue du malentendu. L'écrivain n'a pas un rôle d'arbitre; il est le montreur de faille, le sismographe du facteur humain. Expliquer, c'est bien; sensibiliser, c'est mieux. » Interview dans Le Nouvel OBS l'hebdo en ligne, vendredi 26 août 2005

Yasmina Khadra
L’attentat

P 19 : « Ce n’est pas la première fois qu’un attentat secoue Tel-Aviv, et les secours sont menés au fur et à mesure avec une efficacité grandissante. Mais un attentat reste un attentat. A l’usure, on peut le gérer techniquement, pas humainement. L’émoi et l’effroi ne font pas bon ménage avec le sang-froid. Lorsque l’horreur frappe, c’est toujours le cœur qu’elle vise en premier. »
P 154 : « Sans lui j’étais finie. Pourtant, un soir, sans préavis, il a jeté ses affaires dans une valise et il est sorti de ma vie. Des années durant, j’ai eu l’impression d’être une enveloppe oubliée après une mue. Une enveloppe transparente suspendue dans le vide. Puis, d’autres années ont passé, et je me suis aperçue que j’étais encore là, que mon âme ne m’a jamais faussé compagnie, et tout d’un coup, j’ai recouvré mes esprits… »
P 230 : « J’ai voulu que tu comprennes pourquoi nous avons pris les armes, docteur Jaafari, pourquoi des gosses se jettent sur les chars comme sur des charbonnières, pourquoi nos cimetières sont saturés, pourquoi je veux mourir les armes à la main…. Pourquoi ton épouse est allée se faire exploser dans un restaurant. Il n’est pire cataclysme que l’humiliation. C’est un malheur incommensurable, docteur. Ça vous ôte le goût de vivre. Et tant que vous tardez à rendre l’âme, vous n’avez qu’une idée en tête : comment finir dignement après avoir vécu misérable, aveugle et nu ? »
P 231 : « Il n’y a que deux extrêmes dans la folie des hommes. L’instant où on prend conscience de son impuissance, et celui où l’on prend conscience de la vulnérabilité des autres. Il s’agit d’assumer sa folie, docteur, ou de la subir. »
P 266-268: « C’est en n’arrivant pas les à les rouvrir que je comprends : c’est donc ça ; c’est fini, je ne suis plus.
Dans un ultime sursaut, je veux me reprendre en main, pas une fibre ne frémit en moi. Il n’y a plus que cette rumeur cosmique qui bourdonne, m’investit cran par cran, me néantise déjà… Puis, soudain, au tréfonds des abysses, une lueur infinitésimale… Elle frétille, approche, se silhouette lentement ; c’est un enfant… qui court ; sa foulée fantastique fait reculer les pénombres et les opacités… Cours, lui crie la voix de son père, cours… Une aurore boréale se lève sur les vergers en fête ; les branches se mettent aussitôt à bourgeonner, à fleurir, à ployer sous leurs fruits. L’enfant longe les herbes folles et fonce sur le Mur qui s’effondre telle une cloison en carton, élargissant l’horizon et exorcisant les champs qui s’étalent sur les plaines à perte de vue… Cours… Et il court, l’enfant, parmi ses éclats de rire, les bras déployés comme les ailes des oiseaux. La maison du patriarche se relève de ses ruines ; ses pierres s’époussettent, se remettent en place dans une chorégraphie magique, les murs se redressent, les poutres au plafond se recouvrent de tuiles ; la maison de grand-père est debout dans le soleil, plus belle que jamais. L’enfant court plus vite que les peines, plus vite que le sort, plus vite que le temps…. Et rêve, lui lance l’artiste, rêve que tu es beau, heureux et immortel. Comme délivré de ses angoisses, l’enfant file sur l’arête des collines en battant des bras, la frimousse radieuse, les prunelles en liesse, et s’élance vers le ciel, emporté par la voix de son père : On peut tout te prendre ; tes biens, tes plus belles années, l’ensemble de tes joies, et l’ensemble de tes mérites, jusqu’à ta dernière chemise –il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l’on t’a toujours confisqué »

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