mardi 11 décembre 2007

Seen in le monde: Malaisian political economics...

M. Lim et le privilège malais, par Sylvie Kauffmann
LE MONDE | 10.12.07 | 13h37 • Mis à jour le 10.12.07 | 13h37
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im Teck Ghee n'est pas près d'oublier le rapport qui lui avait été commandé pour le IXe Plan de Malaisie : il lui a coûté son poste. Du beau travail pourtant, académiquement parlant. Chinois de Malaisie, cet économiste internationalement respecté, titulaire d'un doctorat de l'université nationale d'Australie, de retour chez lui après onze ans passés à l'ONU et à la Banque mondiale, avait réuni un petit groupe de chercheurs de haut niveau au sein d'un institut de recherche de Kuala Lumpur, le Centre d'études des politiques publiques. Mus par une volonté commune, celle de formuler les meilleures politiques pour leur pays, ils se mirent au travail, pour un tarif dérisoire.






En février 2006, M. Lim rendit sa copie. Le titre un brin soviétique de l'épais rapport, "Propositions pour le IXe Plan", n'éveilla pas les soupçons tout de suite. Il contenait pourtant un chapitre explosif, sur l'actionnariat, qui mit quelques mois à éclater : on y apprenait notamment que le capital des entreprises du pays était détenu à hauteur de 45 % par des Malaisiens d'ethnie malaise. Explosif ?

Ex-colonie britannique, la Malaisie est un Etat multiethnique, qui abrite approximativement 55 % de Malais musulmans, 25 % de Chinois, 7 à 8 % d'Indiens, le reste étant réparti entre diverses ethnies. En 1969, de graves affrontements (près de 200 morts) entre Malais et Chinois ont entraîné la mise en oeuvre, l'année suivante, d'une vaste politique de discrimination positive, connue sous le nom de Nouvelle politique économique (NEP) ; le but était d'aider les Malais à rattraper l'écart avec la minorité chinoise, plus prospère. Trente-sept ans plus tard, le principe de cette politique est toujours en vigueur, et les Malais ont la priorité dans de multiples domaines - emploi, éducation, logement, marchés publics... En matière d'actionnariat d'entreprise, l'objectif était de leur permettre d'atteindre 30 % du capital privé. En 2006, les Malais n'en détenaient encore que 18,9 % - c'est du moins ce qu'affirmait le gouvernement, jusqu'à ce que les calculs de M. Lim révèlent une autre réalité.

C'était dans ces chiffres que se trouvait la bombe à retardement. Car si l'objectif des 30 % était atteint, et même dépassé, le traitement de faveur dont bénéficiait la majorité malaise devenait superflu. C'est tout le fondement du système qui était remis en cause.

Plutôt que d'affronter la vérité, le gouvernement malaisien - qui est, depuis l'indépendance, en 1957, dans les mains de l'UMNO, le grand parti malais - qualifia le rapport d'"irresponsable", en rejeta la méthode de calcul et demanda à Lim Teck Ghee de se rétracter. "Je leur ai dit, discutons, je vous montre ma méthodologie, vous m'expliquez la vôtre, et si vous me démontrez que je me suis trompé, je me rétracte. Mais ils n'ont jamais voulu", raconte-t-il. Sous la pression, la fondation qui abritait son think tank désavoua le rapport. "Alors j'ai démissionné, car le rapport était correct." A l'époque, l'ampleur de la controverse a surpris le chercheur. Avec le temps, il comprend mieux : "Les actions en Bourse sont un mode d'enrichissement très rapide", relève-t-il.

Pour Lim Teck Ghee, ce fut un moment difficile. "La pression venait du plus haut niveau du pouvoir, dit-il. J'aurais aimé que d'autres intellectuels me soutiennent publiquement." M. Lim est un chercheur à lunettes de 64 ans qui s'exprime doucement, en pesant ses mots. Il a du mal, pourtant, à réprimer un petit soupçon de satisfaction lorsqu'on lui demande si l'actualité n'est pas en train de lui donner raison.

Car depuis quelques semaines, plusieurs forces convergent pour remettre en cause l'assise du pouvoir en Malaisie, qui a fêté en grande pompe cet été ses cinquante ans d'indépendance avec, en toile de fond, une belle réussite économique. Avocats, opposants, tout ce petit monde est pris d'une furieuse envie de manifester, face à un pouvoir qui interdit les manifestations. Parmi ceux qui secouent la torpeur politique de Kuala Lumpur, 10 000 Indiens ont affronté la police, le 25 novembre. Laissés-pour-compte du miracle malaisien, les Indiens sont victimes des deux dérives du système : les abus de la NEP et l'islamisation du pouvoir, sur le compte de laquelle ils mettent la destruction à grande échelle de temples hindous, sous couvert de projets immobiliers.

Le réveil des Indiens est particulièrement inquiétant pour le pouvoir, qui a réagi très durement en inculpant 31 d'entre eux de tentative de meurtre, en contrôlant les médias d'encore plus près et en disant au gouvernement de New Delhi, qui s'inquiétait, de s'occuper de ses affaires. Combien de temps le premier ministre Abdullah Badawi, qui a récemment confié sa "déception" à l'égard de l'état d'esprit de ses compatriotes sur les questions religieuses et ethniques, pourra-t-il éviter de briser le tabou de la NEP ? Comme tout le monde, il en connaît les effets pervers sur la fuite des cerveaux (chinois) et les investissements (étrangers), mais s'y attaquer demande une certaine dose de courage politique. Une idée fait son chemin, en dehors du gouvernement : asseoir la politique de discrimination positive non plus sur des critères ethniques mais sur des critères socio-économiques. C'est aussi la position de Lim Teck Ghee, qui relève que les Indiens ne sont pas les seuls oubliés de la NEP : les Malais pauvres sont toujours pauvres. Tout ça était dans son rapport. "Un petit groupe au sommet, regrette-t-il, a usurpé les bénéfices de la NEP."

Lim Teck Ghee n'a pas dit son dernier mot. Il est profondément reconnaissant à l'Internet et aux téléphones portables qui "brisent le monopole" de la communication en Malaisie aussi, et vient de créer un nouveau think tank indépendant, le Centre d'initiatives politiques (Center for Policy Initiatives), pour lequel il avoue avoir du mal à trouver du financement. Lui-même, heureusement, perçoit une retraite de la Banque mondiale. "C'est une petite pension, dit-il. Mais je n'ai pas de grands besoins."


POST-SCRIPTUM.

Le dalaï-lama n'est pas le seul Tibétain à irriter Pékin. Tsering Chungtak, ravissante Tibétaine de 22 ans qui vit à New Delhi, a été contrainte de se retirer d'un concours de beauté à Kuching, en Malaisie, avant la finale de "Miss Tourism 2007", parce que les Chinois demandaient qu'elle ajoute "Chine" à "Miss Tibet" sur son écharpe, exigence qu'elle a jugée "inacceptable". Le problème s'était déjà posé en 2005, mais la Miss Tibet de l'époque, Tashi Yangchen, n'avait du coup même pas fait le voyage. D'après les organisateurs, Miss Hong Kong-China et Miss Chinese-Taipei sont moins regardantes.


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Courriel : lettredasie@lemonde.fr.

Sylvie Kauffmann
Article paru dans l'édition du 11.12.07.

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