La culture a de l’avenir en région
Jean-Pierre Saez directeur de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble.
QUOTIDIEN : vendredi 7 mars 2008
La conclusion de l’article paru dans Libération du 29 février («La culture victime de Sarkozy») appelle un certain nombre de remarques sur l’organisation des politiques culturelles en région. Précisons d’abord qu’il existe deux situations politico-administratives certes reliées, mais différentes : l’organisation régionale de l’administration culturelle de l’Etat, qui s’incarne dans les directions régionales des affaires culturelles, et les responsabilités exercées par les collectivités territoriales en matière culturelle. Ajoutons que la politique culturelle dans les régions est aussi le résultat du partenariat entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales. L’effort culturel des seules collectivités territoriales représente plus de 80 % des financements publics de ce domaine, contre moins de 20 % au ministère de la Culture, et cela depuis fort longtemps (c’était déjà vrai dans les années 80, et même auparavant).
Les grandes villes, consacrent plus de 15 % de leur budget à la culture, certaines allant bien au-delà. Un grand nombre de départements et plus encore les régions ont, tout au long des années 2000, augmenté les moyens qu’ils affectent à la culture et au spectacle vivant en particulier. Pour l’essentiel, ce sont leurs ressources propres que ces collectivités engagent, donc sur la volonté politique locale. Ces chiffres témoignent du fait que la culture demeure un enjeu essentiel de développement et d’attractivité territoriale. Quant à la création artistique, elle constitue une véritable matrice des politiques culturelles locales. Pourtant, la précarisation d’un nombre croissant d’équipes artistiques s’accentue et des inégalités entre territoires demeurent. Preuve que le système culturel français présente une réelle complexité, avec son mille-feuille d’intervenants et de dispositifs d’ailleurs discontinus.
Examinons maintenant l’attitude des élus et des cadres culturels locaux. Concernant les premiers, qu’il y ait ici ou là des comportements populistes est exact, qu’il y ait parfois de l’interventionnisme dans la programmation artistique n’est pas faux, et quand cette tendance se manifeste, il faut la dénoncer avec vigueur, ce que les artistes et les opérateurs artistiques font très bien. Dans ce genre de situation, ils doivent être épaulés non seulement par le monde culturel mais aussi par la société civile, ainsi que par les élus. Dans leur très grande majorité, celles et ceux qui assument notamment une délégation culturelle conçoivent leur rôle dans le plus grand respect de la création artistique. Ils en sont même, sur le terrain, dans leurs instances électives, les premiers avocats. Quant au clientélisme, on ne peut pas dire qu’il épargne les services centraux de l’Etat.
D’un autre côté, on peut rappeler que des décisions culturelles importantes sont prises dans les régions entre les services de l’Etat et les élus. S’il y a débat entre acteurs culturels et élus, il porte généralement sur de tout autres questions : comment élargir les publics ? Comment dynamiser par l’art et la culture l’ensemble des quartiers d’une ville, notamment les plus défavorisés d’entre eux ? Comment renouveler l’offre et faire une place plus importante à l’innovation artistique, à de nouveaux talents ? Comment promouvoir la création d’aujourd’hui ? Evidement, ce questionnement rencontre toujours le problème des moyens financiers.
Il est vrai cependant que le discours politique sur la culture a perdu en visibilité. Ce phénomène doit à des causes multiples : l’absence de redéfinition depuis trop longtemps d’un cadre partenarial entre l’ensemble des institutions publiques et les professionnels, la libéralisation des activités culturelles et certaines logiques de performance qu’elle induit, la place croissante des industries et des technologies culturelles dans la vie sociale…
Reste la question de la formation des directeurs d’affaires culturelles de collectivités territoriales. Cette profession s’est beaucoup structurée en termes de réflexion, de mise en réseau et de formation. Certes, tout est toujours à refaire en la matière. L’intérêt de la formation est de ne pas enfermer telle ou telle catégorie sur elle-même, mais d’offrir une plateforme de rencontre aux divers mondes de la culture et au-delà. La formation est aussi une question qui se pose aux élus.
Les élections vont être l’occasion d’un renouvellement du personnel politique local. Si l’on peut attendre de ceux-ci qu’ils résistent au piège du clientélisme, il faut attendre de ceux-là (les professionnels) qu’ils se gardent de tout esprit corporatiste qui figerait le dialogue. Car c’est en continuant de s’engager dans un dialogue approfondi qu’ils prendront leur part, eux aussi, à la formation des élus. Au-delà, c’est à travers la recherche permanente d’une coproduction des politiques culturelles que passe leur avenir.