Finished reading the mother, by Yun Hung-Kil.
A very good surprise. Lovely novel. A bit like the Livre de ma mère, by Albert Cohen, but in a Korean way.
I was sent back in the Chollanamdo region during the novel. The mixture of time immemorial animistic traditions and Korean modernity. The very figure of the dying ajumma.
Good remembrance of Korea.
« C’était là, il n’y avait pas de doute. Sans aucun changement, tout à fait comme avant, ils étaient restés attachés là. Ils étaient accrochés à chacun de ces rayons devenus étiques, hérissés d’épines à force d’avoir roulé contre vents et gelées sur des routes inondées par la pluie et ils frémissaient sensiblement au moindre courant d’air. En les voyant danser en silence, serrés en touffe sous la flamme vacillante, je le trouvais tellement effrayé que mes cheveux se dressèrent sur la tête.
Ce que je venais de détacher de l’écharde d’un rayon formait une poignée de cheveux. Blancs, scintillant sous la flamme, ces cheveux sur ma paume avaient certains reflets. Mes mains tremblaient, mon cœur battait fort, j’avais l’impression de voit des morceaux de tissus multicolores attachés à ces cordes de paille suspendues à l’arbre de l’esprit tutélaire du hameau. J’y voyais aussi l’effigie en paille ressemblant à un petit bonhomme que je devais avoir aperçue dans mon enfance, dans la haie d’oranges sauvages du quartier.
Je me mis alors à les brûler. Ils s’enflamment vite et s’évaporaient dans une odeur de chair brûlée. Leur forme avait disparu pour ne laisser flotter qu’une odeur qui bientôt me quitta. Ce qui restait maintenant, ce n’était plus que le cœur de ma mère. Son opiniâtreté intarissable, infatigable, surhumaine s’enroulait encore autour des roues, dansait légèrement au-delà du temps, avec un air effrayant.
Avant d’éteindre la flamme, j’allumai une cigarette et m’assis sur la charrette.
Les cheveux que j’avais vus quand j’étais petit étaient noirs, brillaient comme des fils de soie. Chaque jour, au coucher du soleil, ma mère s’en était arraché un et l’avait attaché à cette charrette. C’était le travail rituel le plus significatif, sérieux de sa journée, une sorte de cérémonie secrète faite par une jeune femme seule qui prie pour faire revenir un membre de la famille. Tous ces cheveux attachés, dansant légèrement, représentaient les mouvements de l’âme de ma mère faisant signe à cet homme qu’elle avait appelé sans cesse, tous ses sanglais retenus qui n’avaient été que des pensées pour lui. C’était toute la fidélité d’une femme, à la fois une joie tragique et un désespoir qu’elle était la seule à connaître. D’un côté, il y avait la prière d’une femme vénérant le ciel avec ses cheveux, de l’autre ses imprécations.
Un jour, quand je l’avais aperçue pour la première fois attachant un de ses cheveux, je me souviens très clairement que sous le coup de la surprise, elle n’avait plus su quoi faire. Elle était restée un moment troublée, trempée de rayons rougeâtres, plongée complètement dans la mer du crépuscule. Cette scène n’avait duré qu’un instant, mais déjà son visage était devenu inhumain comme celui d’un animal ou d’un diable et son regard terrifiant s’est posé sur moi. Elle s’était alors mise à crier comme une folle quelque chose d’incompréhensible.
Malgré sa cérémonie secrète qui durait depuis de longues années, cet homme n’avait jamais plus remis les pieds chez nous. La charrette avait roulé un peu partout dans le monde, mais elle n’avait pas réussi à le ramener auprès de ma mère. La magie que ma mère pratiquait n’avait eu aucun effet sur lui.
Elle avait continué ce rituel jusqu’à récemment, mais les supports de cette magie, les cheveux noirs, étaient devenus blancs. » (p 32-33)
dimanche 30 mars 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire