Vive le désordre !
Mœurs. L’Américain Eric Abrahamson jette un pavé dans la vie de bureau.
Recueilli par CATHERINE MALLAVAL
QUOTIDIEN : lundi 3 mars 2008
28 réactions
Dans notre petit monde qui se veut bien rangé, bien ordonné, bien propret, Eric Abrahamson déboule avec son bouquin qui fleure bon l’envie de mettre le binz : Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) (1). Succès aux Etats-Unis, traduit en 23 langues, cet ouvrage raille les «pervers amateurs d’ordre», typiquement le chef du personnel qui exige que les demandes de congés soient posées trois mois à l’avance. Pique au vif les «tartufes de l’ordre», genre le collègue qui dégaine fissa son agenda électronique dès que le patron se met à parler de délais. Sans oublier d’égratigner ces «tartarins de l’ordre». Par exemple, un PDG qui attribue à son changement de stratégie une légère et récente augmentation des ventes. Un anar cet Abrahamson ? Point, un spécialiste des organisations, prof de management à la business school de l’université de Columbia à New York. Entretien.
En quoi l’ordre est-il nocif ?
Le rangement, la classification, la planification ont tendance à devenir pour beaucoup d’entre nous une fin en soi. Dans les bonnes résolutions du début d’année, devenir mieux organisé figure en troisième position. Mais on oublie que cela prend du temps et qu’il est coûteux de s’organiser. Passé un certain stade, cela ne vaut pas le coup. Personnellement, j’ai atteint un stade de désorganisation optimale. Autrement dit, si je passais plus de temps à m’organiser je perdrais du temps.
Qu’y a-t-il de plus inquiétant, un bureau parfaitement rangé ou en bazar ?
Ça se discute vraiment. Un bureau très désordonné peut laisser penser à certains que la personne ne contrôle pas sa vie. A l’inverse, quand un bureau est extrêmement rangé, on peut se demander ce que fout le type (ou la femme) qui l’occupe. Peut-être passe-t-il plus de temps à ranger qu’à travailler ? En tout cas, selon une enquête effectuée sur Internet, les personnes qui assurent avoir un bureau «impeccable» passent plus de temps (la différence est de 36 %) à chercher quelque chose que celles qui concèdent avoir un bureau «assez en désordre». Cela dit, les gens qui ont une position hiérarchique sont un peu tenus d’avoir un bureau bien rangé, tant le désordre a mauvaise réputation et tant l’ordre est rassurant. Dans mon bureau, on a l’impression qu’une bombe a explosé. Toute surface plate est occupée par des piles. L’avantage, c’est que ce qu’il y a de plus récent et de plus important est en haut. Le désordre n’est pas nécessairement une absence d’ordre. Et je ne dis pas qu’il faut le désordre complet, mais pas un ordre complet.
Comment le désordre peut-il être productif ?
D’abord, d’un point de vue psychologique, ceux qui pratiquent le désordre sont souvent ceux qui sont les plus ouverts aux nouvelles expériences. Ensuite, un minimum de désordre est indispensable à la créativité. Car cela permet de mettre en contact des choses qui dans un monde ordonné ne se seraient pas rencontrées. Par exemple, dans les années 50, le chercheur Leon A. Heppel n’aurait peut-être pas découvert l’action régulatrice des hormones sur les cellules sans le légendaire capharnaüm qui régnait sur son bureau. C’est dans cet environnement qu’il a un jour fait la connexion entre deux lettres de confrères décrivant deux résultats différents du même processus cellulaire. Les entreprises les plus désordonnées auxquelles j’ai eu affaire sont celles qui inventent des jeux. Là, impossible de mettre de l’ordre dans les horaires de travail et dans l’espace en général encombré de tas de trucs disparates. A l’inverse, j’ai aussi été confronté à des boîtes paralysées à force de procédures ou tellement obsédées par la planification qu’elles peuvent se laisser enfermer dans des stratégies erronées et/ou ignorer des opportunités.
D’où vient l’ordre ?
Dieu, qui créa le ciel et la Terre, est l’organisateur professionnel par excellence, alors que Satan est le grand désorganisateur des croyances. Le premier ordre créé est celui des religieux destiné à maintenir l’orthodoxie de la pensée. On assiste à un regain pour lui lors de la révolution industrielle. Les ingénieurs qui ont pris le pouvoir rêvent d’organiser la société comme une machine dont les employés seraient l’engrenage. Et à la maison, les femmes deviennent l’ingénieur du rangement. C’est revenu récemment, sans doute parce que l’on vit dans une période où les gens ont l’impression de ne plus rien contrôler. Aux Etats-Unis, on a ainsi vu fleurir la profession d’organisateur qui pour 100 dollars de l’heure vous rangent tout !
N’est-ce pas surréaliste ?
60 % des gens se sentent culpabilisés par leur désordre. Et 1/8 des couples disent s’être séparés sur des questions de désordre. Mais quand les deux sont ordonnés, il y en a toujours un qui l’est moins que l’autre. Ou pas de la même manière…
(1) Coécrit avec le journaliste David H.Freedman, éd. Flammarion.
mardi 4 mars 2008
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1 commentaire:
Aska,
This post was very interesting! Especially for an American (or half American, anyway) like myself, as we are the nation par excellence obsessed with "order" (and of the oft-stated phrase, "Cleanliness is Godliness").
The notion of 'order' equaling good and the opposite, disorder/dirt/etc being bad per se has been around for eons. In some ways, this belief is antithetical to the world we live in, since the 'order' of Mother Nature (biology, evolution, chemistry), the most natural of all states, is in itself, disordered. Nature and science occurs in patterns but certainly not controllable or neat ones; humanity springs from disorder. Maybe this is why we are so obsessed with organization - the knowledge that we ourselves, our Nature, or science, is not.
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