Enthousiasme ou exaspération : Jan Fabre enflamme le public du Louvre
LE MONDE | 12.04.08 | 14h43 • Mis à jour le 12.04.08 | 14h43
AFP/ANNE-CHRISTINE POUJOULAT
Le plasticien et chorégraphe belge Jan Fabre au Festival d'Avignon, le 26 juillet 2005.
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Jan Fabre au Louvre, on aime ou on déteste. On s'extasie ou on ricane. Mais "L'Ange de la métamorphose", titre de l'exposition de l'artiste flamand qui ouvrait ses portes vendredi 11 avril, ne laisse personne indifférent. D'autant que les oeuvres du dessinateur, plasticien, chorégraphe, vidéaste, performer, souvent grinçantes - ses mises en scène ont ouvert une énorme polémique au Festival d'Avignon en 2005 -, occupent jusqu'au 7 juillet les prestigieuses salles dédiées aux peintures des écoles du Nord.
Des dessins au stylo bille bleu, des sculptures en ossements humains, des toiles portant la trace de son sang, de son sperme, des vidéos de guerriers tout en armure voisinent avec des chefs-d'oeuvre de Bosch, Rubens, Van Eyck, Rembrandt, etc.
Jan Fabre, Anversois de 50 ans, avait déjà fait son show au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers. Le Louvre, pour sa part, invite, depuis quatre ans, des artistes à se confronter aux maîtres anciens. "On a déjà confié de grands espaces à des sculpteurs comme Anselm Kiefer, Anish Kapoor. La différence est qu'un seul artiste investit les lieux", souligne le président du Louvre, Henri Loyrette. Mais jamais un artiste n'avait été aussi visible au Louvre : une trentaine d'oeuvres, parfois monumentales, dans plusieurs salles.
Plutôt que de confrontation entre le Flamand et ses maîtres, il vaut mieux parler de friction, tant les réactions sont électriques. Prenons Le Bousier (2001), installation démesurée de Jan Fabre : un matelas défraîchi et une sphère recouverte d'élytres de scarabées aux reflets bleu, vert et or. Posé à côté de deux tableaux de Frans II Pourbus, La Sainte Cène (1618) et un portrait de Marie de Médicis, Le Bousier fait l'attraction. "Quelle magnifique note d'humour !", sourient deux trentenaires, tandis qu'un couple de Néerlandais estime que "l'oeuvre dialogue bien avec la robe gonflée de Médicis". Mais un homme s'exaspère : "S'il est hanté par les scarabées, qu'il en fasse un élevage !" "Je crois qu'il n'y a rien à comprendre", lui répond la jeune fille qui l'accompagne.
RENCONTRE CRUELLE
Chez Jan Fabre, le passage entre la vie et la mort, l'espoir d'une résurrection, mais aussi l'argent, le jeu, les plaisirs terrestres, reviennent comme des motifs et tentent un dialogue avec les toiles du Louvre. Pour certains visiteurs, l'expérience "nettoie le regard" et redonne envie de "s'attarder sur les peintures anciennes" ; pour d'autres, le travail est "superficiel" et "prétentieux". Voire "autocentré".
Les critiques les plus vives émanent du public régulier du musée. Une femme, qui suit des cours d'histoire de l'art, vient par curiosité. "Le côté positif, c'est que j'ai discuté avec plein de gens. Mais cette exposition est une erreur. Fabre a choisi certaines oeuvres comme référence à son travail, sans dialoguer. Je ne suis pas sûre que ça donne envie de découvrir l'art contemporain."
Pour cette exposition, Jan Fabre a obtenu que certains tableaux du Louvre soient raccrochés, d'autres déplacés. Il a fixé sa Pièce de Viande (1997) à la place du Boeuf écorché (1655) de Rembrandt - en hommage à cette toile qui l'a inspiré et se trouve désormais sur le mur d'en face. "Il s'impose aux oeuvres et leur fait violence. Il intervient sur des pièces maîtresses, et la rencontre est cruelle... pour lui", juge un habitué.
Jan Fabre répond qu'il n'entend pas se mesurer aux plus grands. En visite, en fin d'après-midi, avec des collectionneurs, il en veut pour preuve l'Autoportrait en plus grand ver du monde (2008) qui trône dans la galerie Rubens - un lombric de quatre mètres de long, agonisant, rampe entre des pierres tombales et répète, en flamand : "Je veux sortir ma tête du noeud coulant de l'histoire." On peut y voir, dit-il, la métaphore de l'artiste écrasé par le poids du passé. Le ver symbolise la putréfaction mais aussi la fertilité, puisqu'il régénère la terre. "Si on enlève l'artiste, la société se porte moins bien !", lance, en anglais, Jan Fabre. Autre signe d'humilité, dans Je me vide de moi-même (2007), il se représente en nain, le visage plaqué contre la copie d'un tableau de Rogier van der Weyden. Il se heurte au mur de l'histoire et du sang coule sur ses vêtements, formant une flaque au sol. Une source inépuisable de rires adolescents, de déclenchements d'appareils photos, et de discussions animées.
Polémique ? "J'ai l'habitude. On dit que je suis génie ou charlatan", confie-t-il. Il préfère parler du bonheur qu'il a eu à préparer l'exposition pendant trois ans : "Ces journées à arpenter les salles, ces nuits passées seul, au milieu des toiles, m'ont rendu heureux comme un enfant dans un bac à sable." Il lève les yeux vers les tableaux : "A côté, je suis tout petit. Je dois prouver que mon oeuvre vivra dans quelques siècles."
Clarisse Fabre
Article paru dans l'édition du 13.04.08.
dimanche 13 avril 2008
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